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Depuis l’avènement du CrossFit, beaucoup de choses ont changé dans la manière d’appréhender l’entraînement, de le diriger et d’en retirer des bénéfices. Certes, comme répètent inlassablement les saoulant, CrossFit n’a rien inventé. Toutefois, je propose à chacun d’observer les séances sportives (musculation, préparation physique…) des années 90 à celles de nos jours. Mis à part quelques spécialistes hyper pointus (auxquels le sportif lambda ne pouvait accéder), c’était un peu la préhistoire, n’en déplaise à beaucoup (j’en faisais partie, pas de parti pris).
L’utilisation du CrossFit a permis beaucoup de chose, notamment de sortir des carcans idéologiques puisque l’idée première du CrossFit, quant aux nouveautés, est d’essayer et de voir les résultats observables et reproductibles sur le terrain (on n’attend plus la confirmation des scientifiques pour nous donner l’autorisation de lever le petit doigt).
Bilan : une progression phénoménale dans les possibilités de l’entraînement et donc les progrès des pratiquants.
Par exemple, la biologie nous montre qu’il n’est pas souhaitable de faire intervenir dans une même séance de l’endurance et de la force (la force ne progressera pas ou quasi, notion d’interférence). Sur le terrain, les CrossFiteurs progressent parfaitement comme cela. Ils ne sont bien évidemment pas au niveau des champions du monde de la spécialité, mais 99,9999999999% des pratiquants n’ont aucun objectif de spécialiste de niveau mondial (oui, j’ai vérifié, je suis certain de la décimale^^). Les études oublient l’objectif principal de la masse sportive pour se concentrer sur l’accessoire (le très très haut niveau hyperspécialisé).
Et si nous faisions la même chose avec notre manière d’appréhender le fonctionnement de nos filières énergétiques ? 3 filières produisant de l’énergie pour le muscle, chacune spécialisée dans un secteur temps/intensité. Et si on nous racontait là aussi des conneries depuis des décennies ? Comme pour la production d’acide lactique fantôme, juste pour l’exemple des conneries potentiellement admises comme vérité absolue.
Ce thème, je l’ai déjà abordé il y a quelques temps sur Fuck-genetics. Il s’agit d’un avis personnel que je vais approfondir ici.
Les informations suivent l’ordre suivant :
- Résumé de ce que l’on apprend en formation Sportive
- Quelques informations complémentaires intéressantes pour la réflexion de l’article sur les filières
- Conclusion personnelle
- Applications possibles (notamment en CrossFit).
ATTENTION CE QUI SUIT EST TECHNIQUE. J’ESSAYE DE VULGARISER AU MAXIMUM, MAIS CELA A SES LIMITES.
Voici une présentation de ce qui est généralement appris par les futurs coaches sportifs (BP AGFF) quant au fonctionnement des filières énergétiques (je corrige volontairement certaines conneries trop grossières telle que la production d’acide lactique).
LES 3 FILIÈRES ÉNERGÉTIQUES
Le corps produit de l’énergie (ATP) selon 3 filières énergétiques qui sont :
L’ANAÉROBIE ALACTIQUE
C’est la filière intervenant en priorité sur les efforts intensifs et brefs pour créer de l’énergie. Sa capacité est faible (quelques secondes) mais elle fournit beaucoup d’énergie par seconde. Elle n’utilise pas d’oxygène.
L’ANAÉROBIE LACTIQUE
Elle intervient totalement généralement après une 20aine de secondes et s’arrête après environ 90 secondes si l’effort est maximal. Elle utilise le glucose comme matière première. Elle est intermédiaire (en termes de capacité et de quantité d’énergie produite par seconde). Elle n’utilise pas d’oxygène.
L’AÉROBIE
C’est la filière utilisant l’oxygène pour produire de l’énergie. Elle utilise le glucose et leslipides comme matières premières. Énorme capacité, mais production d’énergie faible chaque seconde.
La durée de fonctionnement serait due à la quantité de certains éléments nécessaires au fonctionnement de chaque filière (par exemple pour la filière Anaérobie alactique, quand il n’y a plus de phosphocréatine, la filière s’arrête).
Ce qui nous donne le schéma connu de beaucoup de monde sur la durée d’intervention de chaque filière dans la production d’énergie.
Et si nous disions bullshit à tout cela ? Et si les filières énergétiques ne fonctionnaient pas nécessairement de cette manière séparatrice et limitatrice ? Je vais bien évidemment étayer cette assertion.
Récupération de la filière anaérobie alactique
Lorsque l’on travaille à l’échec sur des efforts très intenses, environ 80% des stocks de cette filière sont reconstitués en une vingtaine de secondes (vous savez, le temps nécessaire pour certains pour reprendre le thruster durant le second tour de Fran, ou alors le temps utilisé sur les séries en clusters chères à Thibaudeau où l’on fait des EMOM avec une charge de 85-90% de notre max en force, par exemple chaque 30 secondes pendant 5 minutes).
Bizarrement, cela correspond également à un créneau temporel pour le remboursement de la dette en oxygène (ce remboursement se fait en 2 phases, dont la 1ère, très importante, se déroule en environ 25 secondes).
Pour reproduire de la phosphocréatine, nous avons besoin d’une enzyme particulière : la PCK (peu importe son nom complet). Elle ne fonctionne bien qu’en milieu acide.
Je laisse ici cette filière, nous y reviendrons.
Récupération de la filière anaérobie lactique (ou glycolytique)
Lorsque l’on fait fonctionner le muscle, on produit de l’acide pyruvique et du lactate. Si l’effort est important mais pas trop, le pyruvate fortement sera utilisée dans la filière aérobie pour produire autre chose. Plus l’effort sera important, moins le pyruvate sera utilisé par la mitochondrie (proportionnellement), donc plus il sera transformé en Lactate.
Le lactate sortira de la cellule (et rentrera dans d’autres) grâce à des transporteurs. La qualité et quantité de travail de ses transporteurs est directement lié à leur quantité. Plus il y a de transporteurs, plus on évacue le lactate (et on le fait entrer dans d’autres cellules pour être transformé). Cette quantité de transporteur est DIRECTEMENT liée à l’entraînement (spécificité, volume), le type de fibres utilisées et l’âge du sportif. Ce qui explique notamment pourquoi les coureurs de 400m peuvent tenir un effort aussi brutal aussi longtemps : ils développent une énorme quantité de transporteurs. On retrouve cela chez les meilleurs sur les efforts de type Fran ou Grace.
Très grossièrement, la récupération sur cette filière, sera de 50% après un peu moins d’une demi-heure en récupérant comme un cachalot échoué au pied de la cage à pull-ups, ou 50% en un peu moins de 6 minutes en ayant une activité réduite. Cette récupération correspond à la reconstruction des stocks en matière première (glucose pour la faire courte).
Récupération de la filière aérobie
Bonne nouvelle, elle n’est jamais stoppée (sinon vous pouvez postuler pour The Walking Dead), comme les autres filières d’ailleurs. Il n’y a pas vraiment de notion de récupération pour cette filière, puisque pas d’épuisement complet durant l’entraînement.
La quantité de travail possible à chaque seconde et la durée de ce travail sont directement liées à la taille et au nombre des mitochondries (usines de recyclage, comme nos déchetteries urbaines). Plus vous développez votre endurance (tout type d’endurance), plus vous améliorez la capacité et la quantité de travail de la filière aérobie.
En gros, plus vous travaillez à très haute intensité, plus vous développez la capacité de travail de la filière. Plus l’effort est prolongé, plus vous augmentez la durée potentielle de cette capacité.
Bilan : faites du CrossFit : vous produisez des efforts très intenses que vous cherchez à maintenir le plus longtemps possible en naviguant autour des plusieurs exercices pour permettre cela.
Elle ponctionne de l’oxygène dans le sang, l’utilise (avec d’autres substrats comme le glucose et les lipides) pour recycler les éléments des 2 filières précédentes. Accessoirement, elle produit de l’énergie. Mais une incertitude subsiste quant au devenir de cet ATP… est-il utilisé par le muscle pour produire la contraction ou est-il utiliser pour le fonctionnement interne de l’usine (fonctionnement en milieu fermé). Pas de réponses claires à ce sujet et c’est justement tout l’objet de cet article : Juste des certitudes affirmées.
La dette en oxygène
Dans l’idée générale, la dette en oxygène est que l’on a tellement utilisé d’oxygène que l’on a pris un crédit auprès du sang pour en ponctionner plus qu’il ne faudrait (il se démerderait alors à en trouver ailleurs…).
Dans la réalité, la dette en oxygène correspond à une production excessive de CO2 (élimination de l’acidité ambiante = H+). Ce n’est donc pas une sur-utilisation de l’oxygène (par la filière aérobie), mais à un mauvais équilibre (dans le sang) entre O2 et CO2. La récupération de la dette d’oxygène correspond à l’élimination (respiration principalement) de ce CO2 en excès (d’où l’intérêt de libérer les voies respiratoires après l’effort et d’expirer profondément et non se vautrer comme une baleine à côté de sa barre).
Alors, où veut-il en venir ?
Tout d’abord, nous avons vu que la filière énergétique anaérobie alactique demande un énorme travail de recyclage de la part de la mitochondrie. Travail tellement haut qu’il est difficile à tenir. Il va y avoir épuisement de cette filière. La récupération se fera grosso modo en une 20aine de secondes, en utilisant principalement une enzyme (CPK) qui demande de l’acidité.
Cette acidité est évacuée par la respiration et sera très rapidement résolue (dette d’oxygène) dans la même notion de temps (baisse d’acidité = CPK ne fonctionnant quasiment plus).
Nous avons une filière énergétique qui s’entretien directement en relation avec la puissance de travail des mitochondries (elle aussi), sous peine d’évacuer une des matières premières potentielles (Acide pyruvique se transformant en lactate qui est évacué).
Mais jamais nous n’avons de limitation de production d’énergie par la filière aérobie.
L’hypothèse du jour est donc la suivante (et elle résout beaucoup de choses que l’on observe dans le concret, c’est-à-dire l’entraînement au quotidien dans les Box de CrossFit), attention, hypothèses personnelles :
- Il n’existe réellement que 2 filières énergétiques : le muscle ne se contracte que par les filières anaérobies.
- Les mitochondries (anciennement filière aérobie) ne servirait que de filière de recyclage et donc permettrait d’entretenir le fonctionnement des filières énergétiques anaérobies. Possibilité entrouverte par le fait que le VO2max (quantité maximale d’utilisation de l’oxygène par les muscles par unité de temps) est atteint lors des efforts très intenses comme le sprint (qui n’est pourtant que d’une très faible durée alors qu’il faut un certain temps pour atteindre ce même VO2max lors d’effort moins intense comme ceux que l’on appelle communément l’endurance).
- Par conséquent, la limitation de chacun (du point de vue énergétique, on ne parle pas de la capacité respiratoire, des différentes enzymes, de la dégradation de la structure du muscle, etc.) se produirait non pas à cause des 2 filières énergétiques, mais par un manque de puissance de fonctionnement des mitochondries (trop petites, trop peu nombreuses).
Ce qui donnerait globalement le fonctionnement suivant :
La filière énergétique anaérobie alactique possède une faible capacité (peu de matière première). Si elle est trop fortement exploitée, la mitochondrie ne subviendra pas aux besoins de recyclage et donc elle s’arrêtera (schématiquement).
Pour cette filière, il est donc nécessaire d’élever la possibilité des mitochondries pour subvenir à un effort violent maintenu dans le temps. En gros de faire que son 1RM se transforme en son 5/10RM.
La filière énergétique anaérobie lactique possède une grande capacité (le sucre n’est pas une denrée rare, il est très compliqué de totalement vider ses réserves à très haute intensité, surtout quand on peut utiliser d’autres solutions de remplacement). La mitochondrie a donc plus de latitude pour recycler les éléments de cette filière (et entretenir le feu énergétique). Mais le laxisme n’est pas non plus l’objectif. Sinon, même sanction que pour la filière alactique.
Les mitochondries (anciennement filière aérobie) ne produisant pas d’énergie directement exploitée par le muscle, mais fonctionnant (et s’auto-alimentant en énergie) pour apporter aux 2 filières énergétiques ce dont ils ont besoin).
Et à l’entraînement, ça change quoi ?
Ça change 1000 choses très importantes.
La première qui me vient à l’esprit est l’incompatibilité démontrée par la biologie de l’entraînement de force et de l’endurance que nous avons vu plus haut… Au contraire : développons la durée de l’effort sur des intensités maximales ou quasi pour optimiser les systèmes énergétiques.
Cela change la manière de voir les micros récupérations : ne respirez pas pendant 1 minute durant un effort, cela n’apporte rien de plus (sauf un simple confort respiratoire… d’où le célèbre « sortez de votre zone de confort »). 20-25 secondes et vous pouvez reprendre l’exercice (avec l’entraînement, vous aurez besoin d’un peu moins, i.e. l’information sur les transporteurs de lactates).
On peut aussi bien développer la force en faisant des efforts avec beaucoup de récupération (type spécialiste de la force) qu’avec des efforts proposant très peu de récupération (comme nos EMOM6 3×85% Back Squat par exemple). L’un va se focaliser sur l’aspect nerveux/technique de la force, l’autre sur l’aspect énergétique.
L’exploitation des circuits training traditionnels n’a pas de relation avec l’effort proposé par le CrossFit (même si certains le réduisent aux MetCons) : la recherche d’intensité maximale (intensité seuil) n’a pas le même effet sur le système énergétique que faire des tours d’exercices sans recherche de l’intensité maximale. L’objectif n’est pas uniquement de faire, mais de comment on le fait !
Il vaudra toujours mieux, pour perdre du poids, améliorer son endurance énergétique… un effort très intense (exemple 2 back squat 85% 1RM) durant 2 minutes (toutes les 30 secondes) qu’un effort moins violent et plus volumineux (Tabata air squat) même s’il dure plus longtemps.
Et ainsi de suite.
Et entre temps, Fuck your Genetic, Train Hard !